Franck Martin : « Etre gentil n’implique pas d’être con »
« J’ai quitté mon travail de publicitaire à cause…
ou devrais-je dire grâce à cette phrase », explique Franck Martin, l’auteur de l’ouvrage Le Pouvoir des gentils, à paraître aux éditions Eyrolles, le 14 novembre, au lendemain de la Journée de la gentillesse. Ladite phrase – « La relation (de gentillesse) prime sur le plus beau des contenus »– est la contraction d’un enseignement de Paul Watzlawick, psychologue et membre fondateur de l’école de Palo Alto. « Vous avez beau être le meilleur technicien du monde dans votre matière, estime M. Martin. Si vous n’êtes malheureusement pas capable de créer une relation de confiance – qui s’exprime elle-même par des comportements de bienveillance, de respect et d’honnêteté, donc de gentillesse – ce que vous aurez à donner, à vendre, à communiquer ne sera pas pris en considération. »
Aujourd’hui, M. Martin dirige Congruences, une société spécialisée dans la communication et le management des équipes. Il est convaincu qu’« on peut avoir des relations humaines profondes », sous couvert de trois conditions : l’authenticité, l’estime de l’autre et l’empathie, trois attitudes de gentillesse au sens propre. Mais attention, être gentil n’implique (surtout) pas d’être pris pour un con…
Quel est l’intérêt d’être gentil, disons… dans son milieu professionnel ?
On peut prendre en main un projet en respectant les avis, les visions différentes, qui pourraient même parfois s’exprimer de manière conflictuelle. Car la gentillesse fait fleurir la confiance, crée des contextes qui dissipent la méfiance, met en place des contextes de bonne humeur et de plaisir. Les gens gentils attirent la gentillesse et permettent aussi de mieux vivre, de mieux travailler ensemble, de mieux échanger dans le respect et l’authenticité de ce que nous sommes.
Mais être gentil, ne veut pas dire « être couillon » (pour ne pas dire « con » !). C’est souvent ce qui est dit aux gentils… Etre qualifié ainsi veut parfois tout dire, quand on s’attache à la manière dont les mots sont prononcés : le fameux « il est bien gentil » a rendu cette qualité longtemps obsolète. La gentillesse, la vraie, l’authentique, la profonde, se voit et se vit dans le temps. Elle est tout, sauf une faiblesse qui nous rend fragile, elle est un élan, une force qui va permettre à vos interlocuteurs de s’ouvrir à vous autant que vous vous ouvrez à eux. En prenant ce « risque », si léger, de la rencontre et de la confiance a priori.
Comment ne pas tomber dans le « trop bon, trop con » au travail ?
Cela implique de se fixer deux règles. La première est la capacité à aller au bout d’une relation, même si celle-ci vous semble parfois délicate dès son démarrage. Cette détermination consiste à accepter la vision de l’autre, surtout si elle est opposée à la vôtre… Pas facile d’accepter l’autre de manière inconditionnelle et ce que cela implique en termes d’écoute, de flexibilité comportementale et d’adaptation. Comprendre et partager le point de vue de l’autre n’a jamais voulu dire se perdre soit même et faire preuve de faiblesse. Celui qui « conduit » la communication, c’est le plus souple, certainement pas le plus rigide.
La deuxième règle est l’obligation de fixer un cadre, écrit dans l’idéal, et qui sera élaboré par l’ensemble des personnes concernées. Puis qui sera respecté, par nous-mêmes. Et qu’une autorité s’attachera à faire respecter par tous… Y compris et d’abord – vous l’aurez compris, par lui-même ! On peut, on devrait même essayer de travailler avec des gens que l’on apprécie. Certains disent parfois que l’on ne peut pas travailler en famille ou avec des amis. Je m’insurge contre cela. C’est tellement mieux, mais cela nécessite – encore plus que dans un contexte classique – de mettre en place, de respecter et de faire respecter, ce fameux cadre.
Des 16 règles d’or que vous dispensez dans « Le Pouvoir des gentils », quelles sont les 3 à mettre au-dessus du panier de la gentillesse ?
Etre bienveillant, respectueux et honnête !
La bienveillance est un synonyme de la gentillesse qui consiste à être attentif au bien-être de l’autre, et qui installe encore une fois cette relation de confiance qui est nécessaire au partage et à la réussite de tout projet. C’est une qualité de cœur.
Le respect, pas celui inspiré par la crainte du grade ou de la réputation de son interlocuteur, mais par cette valeur morale, bien différente de l’inclination, qui parle d’estime de l’autre, qui que soit l’autre et quel que soit son grade. Quoi de plus merveilleux que de se sentir pris en compte, respecté et écouté ?
L’honnêteté, parce que sans elle, tout est fichu à plus ou moins court terme. Je ne parle même pas de l’honnêteté de base qui consiste à respecter la loi, mais bien de l’honnêteté intellectuelle qui se traduit par des comportements congruents et authentiques. La congruence, c’est lorsque ce que vous dites avec les mots colle précisément avec ce que vous montrez par vos comportements, et ce que vous pensez profondément. La malhonnêteté, aggravée par le manquement au cadre défini, crée les contextes de révolte. Et si vous ajoutez à cela un traitement inhumain, vous avez entre les mains une poudrière en devenir.
La gentillesse a non seulement toute sa place, mais elle est stratégique pour mener à bien un projet. Et encore plus le projet de redressement de notre pays. Economiquement, mais aussi relationnellement, socialement
Autres références bibliographiques : Managez humain, c’est rentable, de Franck Martin (ed. Deboeck, 2008), Cahier d’exercices pour oser la gentillesse, d’Arnaud Soutif (ed. ESF, 2012) et Petit éloge de la gentillesse, d’Emmanuel Jaffelin (ed. Bourin, 2010).
Marlène Duretz
Journaliste au Monde
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